Un premier article s’était attaché à définir les inégalités, illustré par l’exemple français. Dans l’article 2, nous sommes intéressés aux comparaisons internationales. Ce dernier article sur les inégalités met en lumière les principales explications des disparités salariales.
Les comparaisons internationales montrent que les inégalités dans le plupart des pays de l’OCDE, et notamment européens demeurent à des niveaux relativement moyens par rapport au reste du monde. Néanmoins, le FMI et l’OCDE s’accordent à dire que les pays riches connaissent tout de même une forte croissance des disparités, jamais observée depuis trente ans. L’observation du coefficient de Gini (allant de 0, si la répartition du revenu est parfaitement uniforme entre chaque personne, à 1, si une personne possède tout le revenu) a augmenté dans 16 pays de l’OCDE (parmi les 21). La progression a été notamment forte en Finlande et Suède. En France, on note que l’évolution a été pratiquement nulle, et l’inégalité s’est réduite en Grèce et en Turquie.
La Banque Mondiale confirme bien cette tendance à l’accroissement des inégalités dans son rapport Pauvreté et Prospérité partagée (2016). Une analyse relative à 162 pays, entre 1988 et 2013, concentrant entre 71% et 91% de la population mondiale (selon l’année), a été menée, évaluant l’évolution des inégalités selon différentes méthodes, basées sur le coefficient de Gini. Elle met clairement en évidence que les inégalités ont fortement augmenté au cours des années 90, mais la croissance des inégalités s’est atténuée au début des années 2000.

Source : Banque Mondiale
La mondialisation, coupable de l’accroissement des inégalités ?
Dans les pays de l’OCDE, les écarts de salaires reposent essentiellement sur la qualification des travailleurs. En clair, l’écart de salaires entre travailleurs qualifiés et non qualifiés s’est creusé et repose sur le fait que la demande de travailleurs qualifiés s’est accrue tandis que la demande de travail non qualifié s’est relativement atténuée. Ainsi, les salaires des travailleurs qualifiés auraient tendance à s’accroître fortement tandis que ceux des moins qualifiés connaitraient une croissance très faible.
La question est alors de savoir pourquoi les pays riches recherchent essentiellement des travailleurs qualifiés. On retrouve en général deux grandes explications: la mondialisation et le progrès technologique. Concernant la mondialisation, les théories de l’échange international expliquent que les pays auront tendance à se spécialiser dans la production de biens et services nécessitant des facteurs de production dont le pays dispose. Ainsi, les pays riches sont relativement abondants en travailleurs qualifiés, et fabriqueront donc des produits qui utilisent essentiellement ce facteur. Quant au progrès technologique, il est avancé que ce dernier serait « biaisé » dans le sens où il accroitrait essentiellement la productivité des travailleurs les plus qualifiés. A titre d’exemple, les progrès informatiques auraient surtout augmenté la productivité des ingénieurs, et faiblement celui des ouvriers spécialisés.
In fine, le progrès technique (biaisé) et la mondialisation seraient à l’origine du creusement des inégalités salariales dans les pays riches, la demande de travail se tournant essentiellement vers le travail qualifié. En revanche, les pays riches sont faiblement demandeurs de travail peu qualifié, les salaires de ces derniers seraient alors relativement faibles. L’ouverture commerciale des économies et le progrès technologique ont progressé fortement à partir des années 80 comme le montre le graphique suivant.

Source : OCDE
L’OCDE a publié un tour d’horizon sur les inégalités, et notamment en analysant les effets de la mondialisation sur la disparité salariale et l’emploi. Selon l’OCDE, ni l’ouverture commerciale, ni l’ouverture financière n’ont eu tendance à baisser les salaires. Néanmoins, il est admis que la hausse des importations en provenances des pays émergents à bas revenu, s’est concrétisée par une hausse de l’inégalité salariale, notamment dans les pays protégeant peu leur emploi par la législation.
Le rôle des réformes structurelles
Les années 80 ont donné naissance à de nombreuses politiques visant à réformer les réglementations économiques : une concurrence plus vive sur le marché de biens et services, une atténuation de la législation de la protection de l’emploi (LPE), un recul du salaire minimum relativement au salaire médian. Par ailleurs, la fixation du salaire a également évolué : baisse du taux de syndicalisation, baisse des allocations chômage,…

Source : OCDE
Si la plupart de ces réformes ont permis d’avoir un effet positif sur l’emploi, comme le montrent Blanchard et Giavazzi, (2003), Spector (2004), Messina (2003), Fiori et al. (2007) ou Bassanini et Duval (2006), il semble que ces dernières ont également largement contribué à accroître les inégalités salariales. Ainsi, de nombreux auteurs ont mis en lumière le lien positif entre la moindre rigueur des LPE, et des taux de syndicalisation (ou du taux de couverture des conventions collectives) et les inégalités salariales (par exemple, Visser et Cecchi, 2009 ; Wallerstein, 1999). Les réformes visant à assouplir le marché du travail se sont notamment traduites par le fait que les travailleurs les moins qualifiés en ont davantage supporté le coût, ces derniers étant moins protégés par les syndicats ou la législation. Jaumotte et Buitron (2015) du FMI confirment l’idée selon laquelle l’affaiblissement des syndicats a été plutôt favorable aux salariés les mieux rémunérés. Les auteurs concluent qu’en moyenne le recul du taux de syndicalisation est responsable pour moitié de la hausse de 5 points de pourcentage des revenus des 10 % les plus riches.
L’OCDE met également en avant l’idée selon laquelle une concurrence accrue sur les marchés a engendré une demande plus importante de travail qualifié et a ainsi contribué à accroitre les disparités salariales. Il en est de même pour la baisse des coins fiscaux, ainsi que la réduction des allocations chômage. La plupart des effets sur l’emploi et la disparité salariale sont résumés dans le tableau suivant :

Source : OCDE
Pour conclure, il apparait que nous sommes en présence d’arbitrage entre le niveau d’emploi et les disparités salariales : la réduction du chômage s’effectuerait au prix d’un accroissement des inégalités. Néanmoins, ce dilemme peut être résolu par les politiques d’éducation. En effet, l’augmentation du travail qualifié permettrait de réduire considérablement le chômage et les inégalités salariales. L’OCDE montre que la hausse du niveau d’études permet d’accroitre l’emploi, la main d’oeuvre qualifiée étant recherchée dans les pays riches. Par ailleurs, on assisterait à une moindre différence entre l’offre et la demande de compétences, source d’inégalités fortes sur le marché du travail.
Bibliographie
- Bassanini, A. et R. Duval (2006), « Employment Patterns in OECD Countries: Reassessing the Role of Policies and Institutions », Document de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE n° 486, Éditions OCDE, Paris.
- Blanchard, O. et F. Giavazzi (2003), « Macroeconomic Effects of Regulation and Deregulation in Goods And Labor Markets », Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 3, MIT Press, Cambridge, pp. 879-907.
- Fiori, G., G. Nicoletti, S. Scarpetta et F. Schiantarelli (2007), « Employment Outcomes and the Interaction between Product and Labor Market Deregulation: Are They Substitutes or Complements? », IZA Discussion Paper n° 2770, Bonn.
- Jaumotte F. et Buitron C. O. (2015), « Le pouvoir et le peuple », Finance et Développement, FMI, Mars 2015.
- Messina, J. (2003), « The Role of Product Market Regulations in the Process of Structural Change », Working Paper Series, n° 217, Banque centrale européenne.
- Spector, D. (2004), « Competition and the Capital-labor Conflict », European Economic Review, vol. 48,n° 1, Elsevier, pp. 25-38, février.
- Visser, J. et D. Cecchi (2009), « Inequality and the Labour Market: Unions », in W. Salverda, B. Nolan et T. Smeeding (dir. pub.), Oxford Handbook of Economic Inequality, Oxford University Press, pp. 230-256.
- Wallerstein, M. (1999), « Wage-Setting Institutions and Pay Inequality in Advanced Industrialised Societies », American Journal of Political Science, vol. 43, n° 3, pp. 649-680, Blackwell Publishing, Boston, MA.